Broken Hearts
21 Septembre 2023, Couloirs de l'Ecole, Nickolas Redrum
Les mains dans les poches, je sifflai tranquillement en me baladant dans les couloirs du premier étage de Sorserien, redécouvrant avec plaisir ce lieu où j'avais passé une bonne partie de ma vie. Il n'y avait pas à dire, c'était toujours aussi beau et impressionnant... Je regardai tour à tour de mes deux yeux de chat verts émeraude les chandeliers qui dansaient en flottant dans les airs. Ce lieu respirait la magie, la connaissance et le romantisme par ses couleurs sobres, élégantes et surtout feutrées.
Romantisme.
Je détestais ce mot. Secouant la tête pour m'empêcher de penser à lui, je tendais l'oreille pour continuer ma ronde, me concentrant sur les bruits de pas alentours qui trahiraient des élèves rebelles séchant les cours. A ce souvenir, un sourire se dessina sur mes lèvres fines, dévoilant des dents parfaitement blanches et alignées, et surtout mes canines pointues. Combien de fois avais-je séché les cours, moi ? Ou plutôt la vraie question serait davantage de se demander combien de fois m'étais-je forcé à y assister... Le compte se ferait bien plus vite, croyez-moi !
Comme Alsham se plaisait à me le répéter, j'étais l'un de ces élèves qui lui avait donné le plus de fil à retordre. Oui, et j'adorais ça ! J'aimais rendre les gens fous sur tous les plans, que ça soit en volant, en me rebellant ou en couchant. J'aimais éprouver narcissiquement de la fascination et de l'envie, notamment chez les hommes. Aussi, depuis sept ans, je passai mon temps à coucher à droite et à gauche tout en me promettant une chose : ne plus jamais m'attacher.
A cette pensée, mon pouce caressa machinalement la bague qu'il m'avait offerte avant de me quitter il y a sept ans. Avant que ma vie perde définitivement de son sens. Je n'avais jamais réussi à l'enlever, et pourtant je vous jure que j'aurais aimé tout faire pour la jeter le plus loin possible, au fin fond d'un lac ou des poissons dégueulasses viendraient la gober pour me délivrer de ce soit-disant amour dont j'avais été privé de manière dégueulasse par un homme qui m'avait jeté de manière dégueulasse.
Long et profond soupir.
* Arrête de penser à lui, nom d'une boule de poils... * M'ordonnais-je intérieurement.
Parvenant aux escaliers, je me fis un petit plaisir personnel, comme à chaque fois que j'étais seul. Une des plus importantes coutumes que j'avais établies lors de ma scolarité ici, c'était de descendre les escaliers en glissant sur la longue rampe en bois. Ainsi, "obligation oblige" je m'assis comme l'ancien adolescent que je n'étais plus pour dévaler les escaliers et sauter habilement une fois en bas pour retomber parfaitement sur mes pieds. M'étirant, satisfait de ma bêtise qui n'en était pas une à mes yeux, je m'arrêtai soudain dans mon geste, les bras en l'air, pour flairer une odeur que je ne connaissais que trop bien... et que j'aurais tant aimé oublier. Respirant en faisant bouger légèrement la pointe de mon nez, c'est le cœur battant la chamade de façon de plus en plus violente et douloureuse que je suivais cette trace, mêlée à l'odeur d'autres animaux auxquels je ne prêtais pourtant pas attention. Il y avait une odeur en particulier qui me stressait au plus haut point, alors que je suppliais je-sais-pas-qui-ou-je-sais-pas-quoi pour que je me trompe. Mais le fait était pourtant que ce parfum-là, terriblement enivrant, me ramener à l'esprit ces images que j'avais tant essayé d'enfermer à double-tour dans mon petit crâne.
Mes pas se rapprochaient. Ceux de l'autre personne commençaient à se faire entendre à mes oreilles.
* Pas lui... Putain, pas lui... *
L'odeur devenait de plus en plus forte, là où pourtant aucun être humain n'aurait pu la sentir. Cette odeur si douce mais si virile, si enivrante que mes sens s'en souviennent encore. La distance s’amincissait toujours plus, confirmant la présence de deux chats et d'une créature inconnue que je n'avais jamais fréquentée. Mais la seule qui m'obnubilait, c'était la sienne. Alors tournant pour emprunter le dernier couloir, je me figeai aussitôt que mes yeux se posèrent sur cette crinière rouge si particulière et nettement plus longue qu'auparavant.
Ne pouvant absolument plus bouger un pied, j'eus l'impression qu'un cruel maléfice me changeait en statue de pierre. Les yeux grands ouverts de surprise, la seule chose que je pus faire c'est de lâcher ces mots qui s'évanouirent dans le silence des lieux.
C'est... toi ?